La régulation émotionnelle, c’est quoi ?

Maître de conférence en psychologie clinique à Paris 8. Spécialisé dans l’intervention de prévention en santé mentale chez l’enfant en contexte scolaire.

Thomas a participé au Co’ciliabule de la RéCRÉ “Apprendre à identifier et gérer ses émotions à l’école” qui a eu lieu en mars 2023.

 

Thomas Villemonteix, bonjour, pour commencer, pourriez-vous nous dire ce que vous faites et vos questionnements de recherche s’il vous plait ?

 

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T. VILLEMONTEIX :

Je suis maître de conférences en psychologie clinique à l’Université Paris 8. Je suis spécialisé dans l’accompagnement des enfants et des adolescents et je pratique des thérapies cognitivo-comportementales, une famille de psychothérapies qui cible les troubles de la vie émotionnelle (de l’humeur, de l’anxiété…). Je mène aussi depuis des années des recherches sur les difficultés à réguler ses émotions (la dysrégulation émotionnelle), chez les enfants et adolescents qui ont parfois l’étiquette d’un trouble psychiatrique (anxieux, hyperactivité…). Plus récemment, je travaille aussi sur des interventions qui ne visent pas forcément des enfants ou des adolescents avec des troubles, mais qui visent les tout-venants, dans le but d’aider les enfants à développer des compétences socio-émotionnelles. Il s’agit de compétences qui protègent par rapport à la survenue ultérieure des troubles mentaux et qui sont aussi des compétences utiles dans toutes les sphères de la vie (relationnelle, scolaire, professionnelle, familiale…); c’est pourquoi ces interventions pourraient être déployées largement à l’école pour tous les élèves. Et parmi ces compétences émotionnelles, il y en a une qui est particulièrement importante : c’est la capacité de régulation émotionnelle.

Pouvez-vous donner une définition de la régulation émotionnelle et nous dire à quoi elle sert ?

T. VILLEMONTEIX :

La régulation émotionnelle c’est l’ensemble des processus par lesquels une personne évalue, inhibe et modifie les épisodes émotionnels qu’elle vit, que l’on parle de l’intensité, de la fréquence ou de la durée de ces derniers. Ces processus peuvent être plus ou moins efficaces d’une personne à l’autre. Leur fonction principale est de nous permettre, je dirais, de prendre le contrôle sur nos émotions plutôt qu’être contrôlé par elles. C’est une capacité indispensable d’une part pour pouvoir diriger notre vie en fonction de ce qui compte pour nous, et d’autre part pour présenter un comportement socialement adapté.
On peut en donner une multitude d’exemples : imaginons qu’au travail, vous soyez insatisfait ou frustré de certains comportements de vos collègues. Si vous êtes dirigés automatiquement par vos émotions de colère, cela pourrait donner lieu chez vous à des comportements agressifs, des cris, de la violence verbale voire physique ; cela pourrait a minima porter atteinte à vos relations, et dans le pire des cas vous conduire à sortir d’un comportement professionnel et être mis en difficulté, à juste titre, pour cela.
Autre exemple pour un apprenant, enfant comme adulte, il faut pouvoir accepter la zone de frustration dans laquelle nous placent l’erreur et/ou l’échec, et réguler ces émotions négatives pour pouvoir poursuivre son apprentissage.

Pour finir, on constate qu’une proportion significative des comportements délictueux ou criminels est causée par des difficultés à contrôler ses émotions, sa colère au premier plan, suscitant des agressions qui apaisent les émotions à court terme, qui défoulent, mais qui se révèlent désastreuses à long terme pour l’individu.

La régulation émotionnelle semble présente tout au long de la vie. Sait-on s’il y a des étapes privilégiées dans le développement de ces compétences au moment desquelles il faudrait être particulièrement attentif à leur développement ?

T. VILLEMONTEIX :

Effectivement, notre vie est truffée d’émotions, c’est vrai durant la petite enfance tout autant qu’à la retraite. Les défis rencontrés vont évoluer avec certaines étapes de la vie et les émotions de chacun seront plus ou moins mises à contribution en fonction de ses propres facteurs de vulnérabilité et en particulier d’histoire de vie. Mais dans tous les cas il y aura des émotions à réguler, et c’est peut-être une des caractéristiques fondamentales de la cognition humaine que d’être quasiment en permanence colorée par des tonalités émotionnelles.

Il faut aussi souligner que les défis rencontrés vont aussi évoluer du fait de l’évolution de l’organisme au fil du développement et du vieillissement : durant l’enfance, on a affaire à une sous-maturation des régions frontales de contrôle du comportement, ce qui pose des difficultés spécifiques de gestion de la frustration par exemple. A l’adolescence, ces régions sont encore en maturation alors que l’insertion dans la vie sociale extra-familiale devient prépondérante, ce qui peut jouer un rôle dans certaines conduites à risque rencontrées à ces âges.

D’un point de vue développemental, Il me semble compliqué de définir et délimiter a priori les apprentissages possibles dans ce domaine, et même problématique sur le plan éthique car cela pourrait donner aux personnes le sentiment que tout est joué, alors qu’on ne peut pas savoir à l’avance la marge de progression que chaque personne a dans ce domaine à l’âge où elle se trouve.

Ce qu’on peut dire en revanche, c’est que les recherches se rejoignent pour suggérer que la petite enfance et l’enfance sont des périodes charnières d’acquisition des compétences de régulation de soi, et qu’il y a donc sans doute là une fenêtre particulière dans le développement où se jouent des aspects importants de l’acquisition des compétences émotionnelles. Par exemple, dans le cas du trouble de la personnalité limite (dite aussi borderline), qui se caractérise par des difficultés immenses à réguler les émotions négatives, on considère qu’un facteur de risque clef est l’absence de validation émotionnelle durant le développement. Cela ne veut pas forcément dire que tout se joue à ces âges, que tout se referme par la suite, mais sans doute tout de même qu’il y a une fenêtre d’action importante pour favoriser le développement de la capacité de régulation émotionnelle.

Une autre chose que l’on peut dire, c’est que malheureusement les difficultés dans les différents registres de la sphère émotionnelle ont tendance à se renforcer mutuellement, on parle notamment d‘un continuum anxio-dépressif. Cela peut prendre la forme d’une boucle rétroactive ou de cercles vicieux ; par exemple l’anxiété induit de la tristesse et les difficultés sur le plan de l’humeur induisent de l’anxiété ; ou encore, l’anxiété induit de l’irritabilité, l’irritabilité rend moins performant ce qui peut rendre triste et anxieux. Ces interactions entre les sphères d’émotions négatives font que lorsque quelqu’un s’engage fortement et durablement dans la psychopathologie, lorsqu’il y a de hauts niveaux de comorbidités, alors il devient plus difficile d’aider les personnes à s’en sortir.

Selon vous, quel est le rôle de l’école (et des politiques d’éducation publique de manière générale) dans le développement de ces compétences ? Si oui, que doit être mis en place pour le bon développement de cette régulation émotionnelle ?

T. VILLEMONTEIX :

Un rôle central, car les parents ne sont pas toujours compétents dans ce domaine, ils n’ont pas forcément les clefs, peuvent avoir eux-mêmes des compétences socio-émotionnelles limitées, etc. Il faut donc que l’apprentissage des compétences socio-émotionnelles, comme la régulation émotionnelle, soit soutenu par des professionnels. 

Par ailleurs, on sait que les compétences socio-émotionnelles de l’élève jouent un rôle dans son parcours scolaire, dans sa réussite scolaire et même ultérieurement professionnelles. Dans ce contexte, il me semble que la promotion des compétences socio-émotionnelles (CSE) doit être identifiée comme une des missions cardinales de l’école, qui est un contexte de vie clef de l’enfant, le contexte où il passe le plus de temps éveillé en fait. 

Concrètement, il faut que trois choses soient mises en place à tous les niveaux (toutes les classes) de la scolarité :

1-Un enseignement à la classe entière des CSEs sur le temps de classe, par l’enseignant, formé, si possible à la mise en œuvre de programmes ayant reçu des éléments de preuves scientifiques. On peut imaginer qu’allouer 15 à 20 minutes par jour à ces contenus tout au long de la scolarité serait déjà un progrès majeur. Dans ces programmes, on pourra retrouver différentes techniques qui ont fait leurs preuves dans ce domaine, comme des techniques de respiration, de redirection de l’attention, de l’entraînement à la résolution de problèmes (notamment de problèmes relationnels de type conflits)

2-Une formation de qualités aux CSEs pour s’assurer que les enseignants déploient eux-mêmes de bonnes CSEs, c’est à dire qu’ils consistent des modèles sur ce plan pour les élèves dans leurs interactions avec ces derniers. En effet enseigner à sa classe des compétences qu’on ne maîtrise en réalité pas soi-même est forcément problématique.

3-Repérer des élèves qui restent en difficultés sur le plan des CSEs après ce niveau de prévention universelle, et leur proposer des interventions renforcées ciblées dans l’école, avec des intervenants extérieurs, pour leurs difficultés émotionnelles, relationnelles, ou comportementales. Ces interventions renforcées gagneront souvent à impliquer les parents.  

Et du côté des parents, quel est leur rôle et comment peuvent-ils aider leurs enfants à développer cette compétence ?

T. VILLEMONTEIX :

Même si les parents n’ont pas toujours actuellement les clefs, il est certain qu’ils représentent une source d’expériences fondamentales pour leurs enfants en tant que donneurs de soin. Tous les parents qui souhaitent aider leurs enfants dans ce domaine peuvent faire de petits pas, mettre en place des choses au quotidien pour les aider dans cette direction.

Une compétence fondamentale chez eux pour favoriser le développement de la régulation émotionnelle est ce qu’on appelle la validation émotionnelle. La validation émotionnelle, c’est votre capacité à détecter une émotion chez autrui, à accepter cette émotion et à en parler avec lui/elle. “Comment montrer à l’autre, à mon enfant par exemple, que je comprends son expérience intérieure ?”. Lorsque vous êtes dans cette démarche, vous êtes dans la validation émotionnelle. 

Concrètement on recommande notamment pour les jeunes enfants : 

-1. Aider l’enfant à reconnaitre, exprimer, parler des émotions (lors de la lecture d’un livre, lorsqu’un autre enfant a une émotion, lorsque quelque chose qu’il a fait peu affecter autrui, etc.)

-2. Mettre des mots quotidiennement sur ses émotions pour favoriser l’acceptation des émotions négatives (“« Tu es en colère de devoir t’arrêter de jouer, mais c’est l’heure de ranger »)

-3. Coacher verbalement l’enfant face aux émotions difficiles (“« Ce puzzle est difficile je vois que ça te frustre beaucoup, prenons une grande respiration ensemble avant de continuer ok ?”)

-4. Lui parler à partir de nos propres émotions (« Ca me fait peur quand je te vois monter si haut à cet arbre, c’est dangereux »)

Un autre aspect fondamental pour des parents qui veulent aider un enfant à apprendre petit à petit à gérer des émotions comme la frustration est d’établir dans leur éducation progressivement des règles, des limites et des interdits. En effet, c’est en se confrontant petit à petit à la frustration associée à un “Non” qu’un enfant pourra apprendre à gérer ces émotions. Sans limites, l’enfant sera très peu confronté à la frustration dans sa petite enfance ou à la maison. Cela pourra sembler facilitateur, et ça le sera effectivement dans l’immédiat, mais à moyen terme ce n’est pas aider l’enfant car vous ne lui donnez en réalité aucune situation pour apprendre à réguler cette émotion si fréquente durant l’enfance. Il s’en trouvera d’autant plus fragile lorsqu’il aura à la découvrir et la gérer dans d’autres contextes.

Un petit mot à destination des jeunes ? 

T. VILLEMONTEIX :

Apprendre à réguler ses émotions est un apprentissage pour la vie entière. Nous sommes parfois inégaux dans ce domaine, mais nous avons tous un chemin à faire et un travail sur soi dans ce domaine. L’adolescence est quand même un moment clef dans ce parcours d’apprentissage, car on vit des expériences relationnelles (amicales, amoureuses) très fortes avec une expérience encore petite dans ce domaine. Les émotions à cet âge sont si intenses qu’on peut se tourner vers des techniques pour gérer ses émotions qui peuvent aider à court terme, mais font du mal à long terme : comme se scarifier, s’arrêter de manger, ou au contraire manger beaucoup, s’alcooliser,… etc. Si vous vous sentez en difficultés pour réguler vos émotions, je vous recommande tout simplement de demander à vos parents de consulter un.e psychologue-clinicien.ne qui pourra vous aider. Si vos parents n’acceptent pas ou ne vous écoutent pas, vous pouvez quand même vous rendre dans une Maison des adolescents pour demander conseil et trouver une façon d’être accompagné.e.s. Parmi les approches que peuvent utiliser les psychologues, je vous recommande d’en rechercher un.e qui est formée à ce qu’on appelle les thérapies cognitivo-comportementales. Les TCCs, comme on les appelle, sont des approches qui ont été développées spécialement pour les troubles de régulation émotionnelle. 
Pour aller plus loin, pour obtenir de nouvelles connaissances ou pour contacter des personnes qui pourraient vous aider grâce aux thérapies Cognitivo-comportementales (TCC), n’hésitez pas à :

– Vous rendre sur le site des Associations Régionales de TCC

– À accéder à la liste officielle des praticiens en TCC reconnus par les associations régionales de TCC

 

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Édité par Virginie Kheringer et Anaëlle Camarda

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Cet article est illustré par Camille Henry, illustrateur scientifique !     insta : @k_1000_henry     Vous en avez sûrement déjà entendu parler, adulée par les uns et discutée par les autres, ce que nous appelons plus communément « la méditation »  et ses bienfaits...