A quoi servent les compétences psychosociales ? Quels outils utiliser pour les développer ? Comment les enseignants peuvent-ils se former ?

Professeure de Psychologie du développement à l’Université Lumière Lyon 2, Responsable de l’Observatoire du Bien-être à l’Ecole, Laboratoire DIPHE.

Elle est spécialisée dans le développement des compétences psychosociales. Elle mène des recherches interventionnelles dans le domaine de l’éducation depuis plus de 15 ans.

Rebecca à participé au Co’ciliabule de la RéCRÉ “Développer les compétences psychosociales” qui a eu lieu le en mars 2022.

Rebecca Shankland, pourriez-vous vous présenter et présenter votre parcours et vos questionnements de recherche en quelques phrases s’il vous plait ?

R. SHANKLAND :

A l’origine je suis psychologue clinicienne, spécialisée dans l’accompagnement des problèmes d’addition et plus spécifiquement les troubles des conduites alimentaires. Mais au regard du taux de rechute que l’on a dans ce champ, je me suis intéressée à la prévention de ces troubles, et plus généralement à la prévention des problématiques de santé mentale. A l’époque, il y a une vingtaine d’années, le champ de la prévention en France était essentiellement orienté vers la transmission d’information pour prévenir des risques, donc on nous demandait de faire une heure sur le tabac, une heure sur l’alcool, une heure sur l’anorexie, etc. Et en lisant les recherches sur la prévention je me suis rendu compte que non seulement ce n’était pas très efficace de faire de la prévention des problématiques de santé mentale de cette manière-là, mais que l’on pouvait même avoir des effets contre-productif, par exemple dans les classes où on vient parler d’anorexie il y a plus de cas de troubles alimentaires par la suite que dans les classes où on n’en parle pas, ou encore lorsque l’on vient parler des risques de l’alcool il y a plus d’expérimentations ensuite de consommation d’alcool ! Donc, il m’a semblé important de travailler différemment dans le champ de la prévention et je me suis donc intéressée plutôt à ce qu’on appelle la promotion de la santé mentale, c’est-à-dire comment développer des compétences qui vont être utiles tout au long de la vie pour faire face aux situations rencontrées sans avoir besoin d’utiliser des produits ou des conduites à risque pour gérer les émotions, le stress ou les relations. C’est à cette époque-là que j’ai commencé à m’intéresser aux compétences psychosociales et qu’on a mené un travail conséquent avec des collègues de Santé Publique France (anciennement INPES : Institut National de Prévention et d’Education pour la Santé) pour former les professionnels de la prévention au développement de ces compétences, traduire et adapter des outils validés au niveau international et contribuer au développement d’une culture différente dans le champ de la prévention fondée sur les compétences psychosociales. J’ai donc effectué ma thèse autour de la manière dont les contextes pédagogiques peuvent favoriser le développement de ces compétences et je suis ensuite devenue chercheure dans ce domaine dans le but de pouvoir accompagner le déploiement des programmes visant à développer ces compétences en contexte scolaire mais aussi dans l’accompagnement des personnes en difficulté.

Aujourd’hui, mes recherches portent donc essentiellement sur la conception, la mise en œuvre et l’évaluation d’intervention visant le développement des compétences psychosociales dans différents champs allant du contexte scolaire à la famille en passant par le travail social et le soin.

Vous travaillez autour des compétences psycho-sociales. Comment pouvons-nous les définir ?

R. SHANKLAND :

Ce sont des compétences qui nous aident à faire face aux situations que l’on rencontre au quotidien, à surmonter les obstacles, à avancer en direction de nos objectifs et nos buts de vie, de manière constructive c’est-à-dire en tenant compte des besoins des autres et en collaborant avec eux. L’Organisation Mondiale de la Santé a distingué trois catégories de compétences psychosociales : les compétences cognitives, émotionnelles et sociales. Le référentiel que l’on a réalisé avec Santé Publique France (accessible ici) détaille les différentes compétences qui sont comprises dans ces trois catégories avec notamment les compétences de conscience de soi, d’autorégulation, de pensée critique et capacités de résolution de problèmes pour la dimension cognitive, les compétences de régulation du stress et des émotions pour les compétences émotionnelles, et les compétences d’écoute, d’empathie, de communication constructive ou encore de résolution de conflits pour les compétences sociales.

Comment se développent-elles avec l’âge ?

R. SHANKLAND :

Il existe plusieurs façons de pouvoir développer ces compétences. Tout d’abord, par apprentissage social, c’est-à-dire en observant les personnes (adultes et autres enfants) utiliser des compétences psychosociales dans le quotidien. Cette observation aide à intégrer de nouvelles manières de réguler les émotions, les comportements, et permet de développer de manière efficace les compétences de l’enfant.

Il est aussi possible de développer ces compétences grâce à des modalités pédagogiques spécifiques telles que le travail collaboratif. Il est aussi possible de proposer un apprentissage explicite de ces compétences avec des ateliers conçus spécifiquement pour développer telle ou telle compétence. Par exemple, on peut proposer un atelier sur la résolution de problème en 5 étapes (identifier le problème, les causes possibles, les solutions possibles, identifier les conséquences de chaque solution et choisir une des solutions à expérimenter en priorité), puis des ateliers spécifiques sur les compétences émotionnelles comme l’identification des émotions, la compréhension des émotions et des outils de régulation des émotions (pour plus de détails sur ce type d’ateliers vous pouvez consulter notre ouvrage qui répertorie ces outils (https://www.deboecksuperieur.com/ouvrage/9782807331723-les-competences-psychosociales-manuel-de-developpement) et des outils que nous avons mis en libre accès sur le site : https://covidailes.fr/

Ces compétences psychosociales peuvent aussi être développées en travaillant sur certaines compétences cognitives comme les fonctions exécutives ou encore des compétences comme la décentration, qui vont permettre d’agir sur l’ensemble des catégories de compétences psychosociales.

A quoi servent-elles au quotidien et au sein de la classe par exemple ?

R. SHANKLAND :

Elles servent notamment à être capable de réguler les émotions lorsqu’on est en relation avec d’autres personnes et que ce n’est pas toujours simple. Cela nous aide à discuter de manière constructive pour résoudre un problème, pour gérer un conflit, pour développer des relations satisfaisantes. Dans la classe cela peut aider à être plus disponible mentalement pour les apprentissages, à pouvoir mieux se connaître pour savoir ce dont on a besoin pour pouvoir travailler correctement et pour diminuer par exemple le stress par rapport aux contrôles et aux examens.

Comment peut-on les renforcer ? Existe-t-il des programmes / des formations pour développer nos propres compétences ?

R. SHANKLAND :

Il est possible de renforcer ces compétences tout au long de la vie, même si on encourage le développement dès le plus jeune âge en raison des nombreux bénéfices que cela peut apporter pour le développement de l’enfant, les apprentissages et la qualité des relations.

Pour les adultes, il existe des programmes spécifiques pour les parents comme Strengthening Families Program (https://strengtheningfamiliesprogram.org), et un programme plus générique pour les adultes sur le développement des compétences émotionnelles que nous avons publié l’année dernière avec plusieurs collègues que nous avons évalué auprès d’étudiants et en population générale (https://www.dunod.com/sciences-humaines-et-sociales/developper-competences-emotionnelles-en-8-seances).

Comment les enseignants peuvent-ils se former ?

R. SHANKLAND :

Il existe des Diplômes d’Université comme le DU Promouvoir la Motivation et le Bien-être à l’Ecole ou le DU Développer la Santé Mentale et Relationnelle à l’Université Grenoble Alpes.

Il existe également des formations proposées par certaines académies et nous accompagnons actuellement plusieurs académies au déploiement des formations au développement des compétences psychosociales.

Un petit mot à destination des adolescents ?

Une sorte de recommandation ?

R. SHANKLAND :

Le message serait qu’on progresse tout au long de la vie et, quels que soient les obstacles que l’on rencontre durant l’existence, on peut trouver et développer des ressources en soi et autour de soi pour y faire face.