Alors qu’avant les années 2000 il était d’usage de penser que la créativité était automatique, presque prédéterminée pour chacun d’entre nous, l’arrivée des neurosciences a permis d’infirmer cette hypothèse. En effet, contrairement aux idées reçues, les adultes génèrent davantage d’idées et sont jugés plus créatifs que les enfants et les adolescents. D’ailleurs, on sait aujourd’hui que l’augmentation des performances créatives se fait conjointement à l’amélioration des capacités exécutives, c’est à dire des fonctions de contrôle de haut niveau qui permettent la régulation des pensées et des comportements. Autrement dit, la créativité ne semble pas si automatique que ça !

Grâce à l’Imagerie par Résonnance Magnétique Fonctionnelle (IRMf), les neurosciences ont démontré l’implication des réseaux neuronaux qui sous-tendent ces fonctions de contrôle. Par ailleurs, elles ont récemment étudié les bases cérébrales qui expliquent le développement de la créativité entre l’adolescence et l’âge adulte et ont apporté de nouvelles preuves en faveur de l’hypothèse selon laquelle les fonctions de contrôle seraient centrales pour la génération d’idées créatives : la différence développementale observée entre les adolescents et les adultes, lors de tâches de créativité, est fortement expliquée par la maturation du cortex préfrontal (siège de ces fonctions de contrôle). Bien sûr, les réseaux impliqués dans la créativité sont plus complexes !

 

Quelques principes de base de l’Imagerie par Résonnance Magnétique Fonctionnelle

Il existe de nombreuses techniques de neuro-imagerie qui permettent de comprendre ce qui se passe dans le cerveau d’une personne lorsqu’elle réalise une tâche. L’une d’entre elles est appelée l’Imagerie par Résonnance Magnétique Fonctionnelle (IRMf).

Son principe est en quelques sortes de suivre l’activité du sang, et en particulier son taux d’oxygénation. Puisque le cerveau a besoin de sucre et d’oxygène pour travailler, l’hypothèse est que les zones cérébrales qui utiliseront le plus d’oxygène sont celles qui travailleront le plus lors d’une tâche donnée. Il suffit alors de comparer l’oxygénation du sang dans une zone cérébrale donnée lors d’une tâche d’intérêt (par exemple une tâche de créativité) à l’oxygénation du sang de cette même zone lors d’une tâche qui sera appelée “contrôle”, qui aura quasiment les mêmes propriétés que l’exercice d’intérêt sans la petite fonction d’intérêt principal.

C’est exactement ce qu’ont proposé Kleibeuker et collaborateurs (2013). Ils ont étudié les réseaux neuronaux impliqués dans la créativité chez les adolescents et les adultes en leur proposant deux tâches. L’une était la tâche emblématique de l’Utilisation Alternation d’objet (AU, Alternative Uses), et l’autre la tâche des Caractéristiques Ordinaires (OC, Ordinary Characteristics).

Qu’est ce que la tâche d’utilisation alternative (AU) ? Dans cette tâche, créée par Guilford (1967), il est demandé aux participants de générer un maximum d’idées d’utilisations alternatives pour un objet quotidien donné. Par exemple, l’utilisation alternative d’une brique pourrait être de s’en servir pour faire de la musique ; l’utilisation alternative d’un parapluie pourrait être de l’utiliser comme une batte de baseball. Les réponses des sujets sont ensuite évaluées par des experts. On récupère alors le nombre de réponses données par les participants, ainsi que l’originalité des réponses (Kleibeuker et al., 2013).

Qu’est ce que la tâche des caractéristiques ordinaires (OC) ? Les résultats obtenus chez les individus lors de cette tâche de créativité ont été comparés à ceux obtenus chez ces mêmes individus lors d’une tâche quasiment similaire, mais qui ne requerrait aucune compétence de créativité : la tâche de génération de caractéristiques ordinaires (OC, ordinary characteristics) d’objets. Lors de cet exercice, il est demandé aux participants d’énoncer un maximum de caractéristiques classiques pour un objet donné. Par exemple, l’une des caractéristiques ordinaires d’une chaussure est de chausser un pied (Kleibeuker et al., 2013).

Les deux tâches nécessitent de donner de nombreuses réponses, mais l’une permet d’évaluer les compétences de créativité (AU) contrairement à l’autre (OC). Dès lors, lorsqu’on soustrait les résultats obtenus à la tâche de l’OC (sans créativité) à ceux obtenus dans l’AUT (créativité), la différence devrait faire apparaître les régions spécifiquement impliquées dans la génération d’idées créatives. Les techniques de neuroimagerie actuelles permettent, grâce à la bonne résolution spatiale de l’IRM fonctionnelle, d’identifier précisément les réseaux cérébraux impliqués dans ces tâches de génération d’idées créatives.

Quels sont les réseaux cérébraux impliqués dans la génération d’idées créatives,

et comment se développent-ils ?

 

Dans la recherche de Kleibeuker et al. (2013), les tâches d’AU et d’OC ont été réalisées par des adolescents (15-17 ans) et des adultes (25-30 ans) dans la machine IRM afin d’enregistrer leur activité cérébrale. Les réseaux observés chez les adolescents sont-ils les mêmes que ceux observés chez les adultes ? Reflètent-ils le développement des capacités de créativité ?

Il convient de se rappeler que la créativité est une fonction de haut niveau, et très complexe. Elle fait appel à la fois à des compétences de langage, d’association sémantique et de mémoire puisqu’il faut se souvenir de ce que nous avons déjà vu auparavant pour récupérer des informations et les traiter. Il va donc de soi que les réseaux cérébraux impliqués dans les tâches de créativité sont complexes et se distribuent sur tout le cerveau. Néanmoins, les recherches effectuées récemment ont permis de mettre en évidence l’implication centrale de certains réseaux de neurones et de certaines régions très importantes pour la génération d’idées créatives.

1) Le réseau du mode par défaut : Il s’agit du réseau cérébral qui s’active lorsqu’on vous dit de ne rien faire, de laisser libre cours à vos pensées. Il reflète l’activité cérébrale lors de la pensée libre, de l’errance mentale, dont nous ne sommes pas toujours conscient. Etant donné que certaines régions de ce réseau (notamment le gyrus angulaire et le cortex préfrontal médian) sont davantage impliquées dans la tâche d’AU que dans celle d’OC, il semble donc que ce réseau interviendrait lorsque nous cherchons à générer des idées alternatives et créatives. Cela laisse penser que la génération d’idées créatives, et plus précisément la recherche d’utilisations alternatives d’objets, s’effectuerait tout d’abord au travers d’une forme d’errance mentale, sans pensée consciente, jusqu’à aboutir à une vision créative qui parviendrait alors à la conscience. Il n’est donc pas étonnant que certaines régions faisant partie de ce réseau (gyrus angulaire gauche, gyrus supramarginal gauche et gyrus temporal moyen bilatéral) et associées à la tâche de créativité par Kleibeuker et al., (2017), aient déjà été reliées dans d’autres études à l’activité sémantique et à l’imagination.

2) Le réseau de récupération et d’association d’informations sémantiques : Il en ressort que la génération d’idées créatives fait appel aux régions cérébrales pariétales et temporales, principalement latéralisées à gauche. Ces régions temporo-pariétales sont connues pour être impliquées particulièrement dans la pensée créative verbale et joueraient un rôle dans le traitement des informations sémantiques. En effet, lors de la génération d’idées créatives, il s’agirait de récupérer les informations sémantiques relatives à un objet donné avant de générer des idées quant à ses utilisations potentielles.

3) Le réseau exécutif : C’est un réseau qui est aujourd’hui bien connu et qui implique des régions qui sont reliées aux fonctions exécutives, c’est à dire aux fonctions de haut niveau qui contrôlent le comportement et les pensées de l’individu. La génération d’idées créatives suscite l’activation non seulement de régions temporo pariétales, mais aussi du cortex préfrontal et du cortex cingulaire antérieur. Le cortex cingulaire antérieur est connu pour son rôle de surveillance et de détection des erreurs et des conflits. On peut alors penser que son rôle, dans le cadre de la génération d’idées créatives, est de surveiller la récupération d’informations, afin d’évaluer la pertinence des idées générées. Par ailleurs, le cortex préfrontal gauche, spécifiquement impliqué dans les fonctions exécutives, s’active davantage dans la génération d’idées créatives. Au delà d’une simple activation, les chercheurs ont observé des différences individuelles de performances créatives liées aux variations de l’activité du cortex préfrontal latéral (Kleibeuker et al., 2017) : plus cette région est impliquée dans la tâche, plus le participant est créatif.

Il est également intéressant de noter que le cortex préfrontal et, avec lui, les fonctions exécutives qui en dépendent se développent et maturent jusqu’à la fin de l’adolescence (environ 20 ans, voire 25 ans d’après certaines études !). Cette maturation pourrait expliquer les différences de performance observées entre les adolescents et les adultes. D’ailleurs, les auteurs ont mis en évidence que deux régions spécifiques du cortex préfrontal, le gyrus frontal inférieur gauche et le gyrus frontal médian gauche, expliquent en partie le développement de compétences de créativité observées lors de la tâche AU. Plus les individus utilisent ces deux régions lors de la génération d’utilisations alternatives créatives, plus leurs réponses sont jugées créatives. De la même manière, Kleibeuker et al., (2017) montrent que les adultes présentent des performances jugées plus créatives que les adolescents, ce qui est relié au fait que les structures cérébrales présentées ci-dessus sont davantage recrutées chez les adultes que chez les adolescents. En d’autres termes, il semblerait que l’efficience du recrutement des régions appartenant au réseau exécutif, en particulier des gyri frontal inferieur gauche et médian gauche, discriminent les compétences de créativité et expliquent en partie le développement de la créativité de l’adolescence à l’âge adulte.

Pour conclure … 

 

Le processus de génération d’idées créatives devient ainsi de plus en plus performant avec l’âge, en lien avec les processus de maturation de certaines régions cérébrales, en particulier le cortex préfrontal. Ce dernier, associé aux fonctions exécutives, favorise en se développant des mécanismes cognitifs qui permettent la génération d’idées créatives, comme la flexibilité mentale, la mémoire de travail et surtout l’inhibition cognitive ! A nouveau, même si les réseaux cérébraux impliqués mettent en évidence l’importance de processus automatiques, révélés par l’utilisation d’un réseau par défaut, il n’en reste pas moins nécessaire de récupérer des informations sémantiques, de les associer et surtout de contrôler les associations qui sont faites afin d’éliminer les plus évidentes et de sélectionner les plus créatives !

À PROPOS DE L’AUTRICE DE L’ARTICLE

Soline Burckard

 

Psychologue clinicienne spécialisée dans le développement cognitif et social de l’enfant et de l’adolescent, Soline réalise en parallèle une thèse sur le Neurodéveloppement et la Connectivité dans les TSA, à NeuroSpin. Avoir avoir travaillé sur le développement de la créativité, elle s’intéresse particulièrement aux neurosciences cognitives et développementales chez les enfants et adolescents autistes.

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