La créativité, ça s’apprend !
Professeur de psychologie à l’Université Paris Cité
et membre du Laboratoire de Psychologie et d’Ergonomie Appliquées
Todd a participé au Co’ciliabule de la RéCRÉ “La créativité, ça s’apprend !” qui a eu lieu en novembre 2023.

Todd Lubart, bonjour. Pouvez-vous vous présenter rapidement et nous présenter en quelques phrases votre parcours et les principaux enjeux de vos recherches ?
T. LUBART :
Je suis professeur de psychologie à l’Université Paris Cité et je fais partie du laboratoire LaPEA (Laboratoire de Psychologie et d’Ergonomie Appliquées). Mon thème de recherches, depuis déjà trois décennies, c’est la créativité. Notamment, j’étudie la créativité sous l’angle de la psychologie différentielle. Cela consiste à étudier les différences individuelles entre les personnes, qui sont plus ou moins créatives, ainsi que les différences intra individuelles : un même individu peut être plus ou moins créatif selon les tâches ou les secteurs d’activité. Dans le passé, j’ai travaillé sur les caractéristiques de la personne créative, le processus de création et l’environnement propice à la créativité.
Dans mes recherches actuelles, j’explore activement quelques thèmes autour de cinq projets : 1) le potentiel créatif chez l’enfant et l’adulte, comment détecter et développer ce potentiel ; 2) l’environnement propice à la créativité : on développe des environnements dans une réalité virtuelle, notamment on place des personnes dans une salle configurée spécialement pour stimuler la créativité, et on configure aussi l’avatar qui représente la personne et on voit alors comment booster la créativité ainsi que les mécanismes psychologiques sous-jacents. 3) les jeux et la créativité : est-ce que certains jeux de société vont naturellement stimuler la créativité des gens ? En effet, il existe certains jeux qui impliquent de trouver une idée originale pour gagner. 4) la créativité dans le domaine culinaire : est-ce que le fait d’être créatif chez soi, au quotidien, apporte des bénéfices à la personne, à son bien-être ? 5) un ensemble d’études sur l’I.A. et la créativité, notamment des outils comme Chat GPT ou des outils configurés comme des robots sociaux, et on s’intéresse à la façon dont ces outils technologiques peuvent interagir avec la créativité des gens en la stimulant ou en modifiant leur démarche créative.
Qu’est-ce que la créativité exactement et est-ce qu’il en existe différentes formes ?

T. LUBART :
On conçoit la créativité comme une capacité à engendrer des productions qui sont à la fois originales (pour la personne et son entourage social) mais qui ont aussi une valeur, qui font sens, qui répondent à un objectif ou un besoin dans une situation donnée. Par exemple, on peut être créatif dans n’importe quel secteur d’activité (Beaux-Arts, littérature, management, ingénierie, inventions technologiques…). Il existe des secteurs qualifiés de créatifs, comme le design ou les arts, dont la créativité est le cœur, mais même dans les secteurs dont elle n’est pas le centre, la créativité entre en jeu et on en trouve des traces. Quand on parle de créativité, on pense tout de suite à des cas éminents comme Einstein, Dali ou Coco Chanel ; mais ils ne représentent qu’une toute petite partie des cas de créativité dans les milieux professionnels. Beaucoup de gens ont inventé et trouvé des idées à un moment dans leur métier, et même souvent, et sont reconnus par leur entourage professionnel.
Il existe aussi la créativité quotidienne : par exemple, même si on n’est pas chef dans un grand restaurant, on peut quand même inventer des choses pour un repas familial. Ces deux types de créativités se font pour les autres, la créativité est partagée socialement.
Enfin, il existe la créativité intrapsychique, que pour soi-même, que l’on ne partage pas avec autrui : on peut chercher une idée qui fait sens dans ma vie, faire de la poésie dans un petit carnet personnel. Plus généralement, lorsqu’on apprend, on construit ses connaissances, on est en quelque sorte le designer de ses propres connaissances ; et on construit, on crée, on est auteur de son parcours de vie.
Dans tous ces types de créativité, on constate des différences entre les individus.

Si on s’intéresse au développement de la créativité, on entend souvent par exemple que les enfants sont plus créatifs que les adultes. Est-ce qu’il existe une progression dans les capacités créatives au cours du développement ?
T. LUBART :
Il existe déjà un grand nombre de recherches sur le développement de la créativité chez l’enfant et chez l’adulte. On constate que la créativité peut se développer de façon positive ou négative à tout moment de la vie, dans toutes les tranches d’âge. On est souvent impressionné par la créativité des très jeunes enfants qui se manifeste par une imagination débordante, mais ces très jeunes enfants n’ont pas d’idée du contexte et peuvent proposer tout et n’importe quoi. Ce foisonnement d’idées s’apparente à la créativité mais il y manque l’interprétation du sens que l’adulte peut apporter. Ainsi quand on étudie la créativité chez l’enfant, on constate qu’à chaque tranche d’âge il existe une large gamme de production qui va du banal au très original, et cette même diversité existe ailleurs. Par exemple, sans point de repère particulier, des parents qui voient le dessin que leur enfant rapporte de l’école vont le trouver « génial », alors que finalement l’enfant a fait à peu près la même chose que la plupart des enfants de son âge, ce qui rend le dessin un peu moins « génial » parce que la créativité implique une comparaison sociale et qu’on a envisagé le processus créatif en référence au domaine public.
Si on regarde en revanche le développement de la créativité de façon individuelle, on peut comparer ce que l’on fait maintenant à ce que l’on faisait avant et constater que, pour soi, on évolue positivement ou négativement dans la capacité à produire des idées originales.
Pour résumer, sur le plan développemental, on étudie le parcours d’une personne dans sa vie, et aussi l’étude d’une personne par rapport aux autres individus de sa tranche d’âge. On constate donc que la créativité peut être influencée par les expériences éducatives, par l’environnement familial, social, culturel ; elle est ainsi hautement sensible aux expériences développementales vécues.
Todd, vous avez travaillé aussi avec l’OCDE et notamment autour de programmes adaptés en classe dans plusieurs pays pour développer la créativité. Que pouvez-vous nous dire à ce sujet ?

T. LUBART :
J’ai été effectivement impliqué dans une recherche menée par le département CERI (Centre pour la Recherche et l’Innovation dans l’Enseignement) de l’OCDE dans une dizaine de pays, et qui cherchait à savoir si les enseignants pouvaient aider à développer la créativité des élèves. Dans chaque pays, il y a donc eu des classes « intervention » (pré-test + activités + post-test) et des classe « témoin » (pré-test + cours classiques + post-test). Globalement, l’étude a montré que les enseignants pouvaient tout à fait aider à développer la créativité, surtout pour la pensée divergente. L’autre point intéressant est le fait que le ressenti d’auto-efficacité de la part des enfants et des enseignants augmente avec ce type d’exercices.
Pour comparer les différents pays, il existe quelques études comparatives concernant les programmes scolaires nationaux : certains textes officiels citent explicitement la créativité de manière significative, et les enseignants s’efforcent alors de mettre en œuvre des activités en rapport avec ces textes. En Australie, par exemple, dans la province de Victoria, le programme du cursus scolaire insiste beaucoup sur la nécessité de valoriser cette compétence et il y a donc un grand nombre de choses qui sont faites à l’école. Mais c’est vraiment très variable selon le mode de fonctionnement des différents systèmes éducatifs des pays.
Il y a aussi la tendance du XXIe siècle à mentionner les « quatre C » (Créativité, pensée Critique, Collaboration, Communication), et dans l’Education Nationale ou dans des programmes éducatifs spécifiques, on trouve un accent qui est mis ponctuellement ou partiellement sur le processus créatif. Mais globalement, cela reste relativement minoritaire. Avec les nouvelles enquêtes PISA qui ont inclus des épreuves de créativité, le rapport qui sortira au mois de juin va potentiellement donner un peu plus d’importance et plus d’importance médiatique sur la créativité.

Un petit mot à destination des jeunes ?
T. LUBART :
D’abord, je voudrais leur dire que la créativité est quelque chose d’accessible à tout le monde et qui peut se développer. Si un jeune pense qu’il n’est pas trop créatif, d’abord, il faut voir car peut-être que, comparé à d’autres, il n’est pas si mal ; il n’a pas forcément une vision très claire de son vrai positionnement. Mais en tous cas, tout le monde peut développer cette capacité et donc, il faut tenter, il faut s’exercer, entraîner comme pour des muscles sa recherche d’idées originales. Il faut saisir les opportunités dès qu’elles se présentent : la majeure partie de la vie quotidienne est faite de répétitions de comportements qui sont utiles mais qui ne sollicitent pas spécialement la créativité, donc il faut investir tout type d’activités créatives dès qu’elles se présentent.
On peut aussi développer des ingrédients à la créativité, par exemple chercher à développer sa prise de risque, son ouverture d’esprit, ses connaissances dans plein de domaines différents afin de pouvoir nourrir des associations d’idées qui sortent de l’ordinaire (« out of the box »).
Si vous vivez dans un environnement stimulant, notamment, avec des musées, des événements culturels, une médiathèque, profitez-en au maximum et allez-y !
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