En octobre 2017, les chercheurs du CoReCre et l’équipe pédagogique de l’École Marie Curie d’Ifs ont initié pour la première fois, un programme de recherche appliquée de 5 semaines ayant la particularité d’être à la fois inspiré des théories fondamentales de la créativité et créé sur mesure pour correspondre au programme scolaire des enfants de CM1-CM2. L’enjeux de ce programme était de répondre à une question actuelle des enseignants : Comment fait-on pour stimuler la créativité des enfants en classe ?

 

Les difficultés d’application des recherches fondamentales à l’éducation

 

Peut-être que vous même pourriez facilement répondre à cette question, en ayant recours à différentes méthodes dont vous connaissez le nom ou que vous avez expérimentées. Peut-être vous rappelez-vous cette méthode emblématique qu’est le “Brainstorming”, ou peut-être avez-vous quelques souvenirs d’ateliers scolaires lors desquels vous deviez créer un dessin tout en vous inspirant d’un artiste renommé. Quoi qu’il en soit, pouvez-vous affirmer sans la moindre hésitation que ces méthodes sont bénéfiques pour la génération d’idées créatives des enfants ? Les chercheurs du CoReCre ne pouvaient pas l’affirmer non plus. En effet, répondre à ce type de question n’est pas chose facile si l’on prend en considération différents éléments complexifiants l’application de la recherche fondamentale au domaine de l’éducation. 

1) Tout d’abord, bien que la littérature scientifique du début du XXe siècle ait permis de répertorier différentes méthodes susceptibles de stimuler la créativité, les avancées en psychologie cognitive et des sciences de gestions ont permis de constater que les effets de certaines méthodes sont à moduler.

Pour aller plus loin – Le cas du brainstorming. Initialement, les règles du Brainstorming (Osborn, 1942, 1953) voulaient que les individus d’un collectif échangent librement leurs idées grâce à l’utilisation de post-it, tout en respectant des règles visant à diminuer les effets négatifs produits par un contexte social (ex : anticipation de la honte). Ainsi, des règles telles que “l’interdiction de juger les idées des autres”, la nécessité de “rebondir sur les idées d’autrui” devaient stimuler la créativité des groupes de travail. Cependant, Diehl et Stroebe (1987) ont mis en évidence que parmi 22 études portant sur les effets du brainstorming, 18 d’entre elles démontrent que les idées générées sont plus créatives lorsqu’on regroupe toutes les idées générées par des individus travaillant seuls, comparées à celles générées uniquement en groupes de brainstorming. Ainsi, bien que cette méthode emblématique privilégiée dans les bureaux d’études innovants possède certaines caractéristiques positives (organisation, conservation de traces des idées générées,etc...), il est aujourd’hui reconnu par les experts du domaine que le Brainstorming n’est pas magique !

2) Par ailleurs, les recherches scientifiques menées autour des méthodes de créativité (comme par exemple le Brainstorming) se sont centrées uniquement chez l’adulte, sans prendre en considération les effets développementaux. Pourtant, nous savons que de nombreuses fonctions cognitives impliquées dans le raisonnement et la créativité se développent de la naissance de l’enfant jusqu’à la fin de l’adolescence, et continuent à évoluer à l’âge adulte. Il semble alors évident que pour une même méthode donnée, les effets de celle-ci pourraient dépendre des compétences de chacun. Dès lors, les enfants, qui sont plutôt centrés sur eux-mêmes, n’accueilleraient pas les méthodes de travail en groupe de la même manière que les adultes, qui ont appris au fur et à mesure de leur développement ce que sont les règles du respect, de l’écoute d’autrui, etc… .

3) Enfin, le dernier point rendant difficile l’application des données issues de la recherche fondamentale à l’éducation vient de la rigueur scientifique nécessaire à l’expérimentation. La recherche expérimentale tente au mieux de comparer des contextes strictement identiques, tout en faisant varier un seul des paramètres de l’expérience. De cette façon, si un participant réagit différemment entre la version A de l’expérience, et la version B, alors il sera possible d’affirmer que c’est bien ce seul paramètre qui explique le changement de comportement observé.

Pour aller plus loin – Quels sont les principes de l’expérimentation ?  Prenons pour exemple une recherche qui voudrait savoir dans quelle mesure la couleur d’une feuille de papier stimule ou diminue l’envie d’écrire chez les enfants. La version A de l’expérience consisterait à proposer à l’enfant d’écrire une rédaction sur une feuille carrée, blanche. La version B de l’expérience consisterait à proposer à l’enfant d’écrire cette même rédaction sur une feuille en forme de triangle, violette. Dans le cas où les résultats montreraient que les enfants auraient tendance à écrire plus de lignes et à être plus créatifs dans la version B comparée à la version A de l’expérience, il serait impossible d’affirmer avec certitude que l’effet observé découlerait de la modification de la couleur de la feuille (1e paramètre). En effet, les deux versions de l’expériences se distinguent par la modification de deux paramètres (la couleur de la feuille et la forme de la feuille), et non pas par d’un seul. La rigueur scientifique voudrait que seul le paramètre de la couleur de la feuille soit changé, et que tous les autres paramètres soient strictement équivalents dans les deux versions (cf. image ci – dessous).

Si le simple fait de faire varier la forme du papier sur lequel un enfant écrira ne répond plus à la rigueur scientifique nécessaire à l’expérimentation, imaginez les différences qui existent entre les contextes de laboratoire et de classe : Les enfants ne sont pas seuls dans une salle mais en groupe, ils peuvent voir ce que leur camarade est en train de créer, ils peuvent entendre quelques mots dits à haute voix par un camarade, la maîtresse peut intervenir sans même s’en rendre compte, les consignes ne sont pas tout à fait les mêmes d’un atelier à l’autre ou d’une semaine à l’autre. L’expérimentation appliquée en classe devient alors extrêmement compliquée à mettre en place, à cause de la difficulté à re-créer des conditions d’expérimentation similaires à celles décrites dans les articles scientifiques, et de la difficulté à maintenir les paramètres constants d’une séance à une autre. Par ailleurs, il est difficile de tirer des conclusions sur les “bonnes méthodes” à suivre d’après les résultats de la littérature scientifique, étant donné qu’ils sont issus d’un cadre extrêmement précis, dans lequel la modification d’un paramètre pourrait engendrer des discordances avec les observations faites.

Lancement du programme “la recherche fondamentale s’invite à l’école, et vis versa”

 

Malgré toutes ces limites, les chercheurs du CoReCre et l’équipe pédagogique de l’École Marie Curie d’Ifs ont travaillé main dans la main pour créer un protocole d’expérimentation, appliqué à la classe, dans le cadre du programme “la recherche fondamentale s’invite à l’école, et vis versa” : le but principal de ce programme de recherche était alors de tester, en situation de classe, les effets de différentes méthodes susceptibles de stimuler la créativité de rédactions proposées par des enfants CM1 – CM2.

Les enseignants et les enfants de cinq classes de CM1 – CM2 ont accepté de participer à notre étude. À raison d’un atelier (méthode de créativité + rédaction) par semaine, durant 5 semaines, les enfants étaient habitués à générer des idées créatives à partir d’une méthode particulière. Les enfants suivaient un apprentissage, soit 1) de la méthode du Brainstorming, 2) de la méthode “à la manière de” qui consistait à s’inspirer d’un texte créatif donné au préalable, ou 3) de la méthode C-K. Cette dernière, découlant des enseignements initialement proposés aux étudiants ingénieurs de l’École des Mines de Paris, consistait à structurer et organiser les connaissances et les idées de l’enfant de manière à distinguer les idées peu créatives des idées créatives, et de manière à générer toujours plus d’idées étonnantes.

Actuellement, les résultats de cette recherche n’ont pas encore été publiés car les chercheurs continuent à analyser les résultats obtenus, donc il est préférable de rester prudent. Cependant, les résultats préliminaires sont plus qu’encourageants ! Il semblerait que certaines méthodes (traditionnellement utilisées à l’école) soient néfastes pour la créativité des enfants, alors que d’autres non seulement stimulent les performances des enfants lors des ateliers eux-mêmes, mais permettent également à cette stimulation de persister dans le temps à la suite de ces apprentissages !

 

Découvrez les principes et les résultats préliminaires de cette recherche en vidéo ! 

A PROPOS DE L’AUTRICE DE L’ARTICLE

Anaëlle Camarda

Docteure de psychologie cognitive du développement, chercheuse en à l’Université Catholique de Louvain (Belgique) et enseignante à l’Université Paris-Dauphine,  Anaëlle est la présidente de l’association du CoRéCRÉ, et s’intéresse au développement des mécanismes cognitifs qui sous-tendent les compétences de créativité. Plus particulièrement, elle tente de comprendre comment ces mécanismes se développent, et comment ils peuvent être stimulés via différentes méthodes utilisées en laboratoire ou sur le terrain (en classe ou en entreprise).

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