Insolents, irrespectueux, inconscients, irrationnels, idéalistes, les adultes dans leur grande sagesse ne manquent pas d’adjectifs négatifs pour qualifier cette période de développement si particulière entre l’enfance et l’âge adulte qu’est l’adolescence. Les psychologues dressent un portrait à peine plus optimiste et décrivent l’adolescence comme une phase de turbulences où s’entremêlent des crises, une quête identitaire souvent laborieuse, une remise en cause systématique (ou presque) de l’autorité ou encore un besoin irrépressible de rechercher des sensations fortes. Il suffit de rappeler que l’adolescence est aussi une période sensible pour l’émergence de troubles psychiatriques et l’engagement dans les conduites à risque pour comprendre qu’elle constitue en soi un enjeu sociétal majeur. Alors, qu’est-ce que l’adolescence ? Quelles sont les spécificités neuro-développementales de cette période, et comment impactent-elles le comportement des adolescents ?

A. L’adolescence en quelques phrases

Souvent considérée à tort comme une spécificité des sociétés modernes (Crone & Dahl, 2012), la délimitation de son âge d’apparition et de fin a fait l’objet de nombreux débats dans la littérature (Blakemore, & Robbins, 2012). S’il existe à ce jour un consensus sur le fait que l’entrée dans la puberté marque le début de l’adolescence, les études sont moins catégoriques lorsqu’il s’agit d’en déterminer la sortie. S’ajoute à ce problème celui de la variabilité interindividuelle qui limite d’emblée une approche exclusivement centrée sur l’âge. En effet, deux adolescents de 15 ans peuvent avoir un développement pubertaire très différent tout en ayant le même âge. Il convient d’ajouter à cette variabilité le fait qu’il existe des différences inter-genres, la puberté des filles étant plus précoce que celle des garçons. Ceci étant dit, pour les besoins de cet article nous pouvons admettre que l’adolescence débute avec la puberté vers l’âge de 11-12 ans et se termine autour de 21 ans (Steinberg, 2014).

Comme nous venons de l’évoquer brièvement, les adolescents auraient une tendance exacerbée à s’engager dans des conduites à risque telles que la consommation de substances (licites et/ou illicites), la prise excessive voire massive d’alcool, les comportements sexuels dangereux, ou la conduite automobile imprudente (Steinberg, 2014).

B. L’adolescent réagit spécifiquement aux contextes socio-émotionnels – le cas de la prise de risque

Comment expliquer que les adolescents puissent prendre plus de risques que les enfants alors même qu’ils sont censés bénéficier de meilleures capacités d’analyse et d’évaluation du risque si on en croit les modèles classiques du développement pour lesquels le raisonnement logique devient de plus en plus efficient avec l’âge ? Comment rendre compte de l’évolution de la prise de risque qui suit un développement en U inversé entre l’enfance et l’âge adulte ? Dès lors, il s’agit non seulement de parvenir à rendre compte de la diminution de la prise de risque entre l’adolescence et l’âge adulte mais également de comprendre pourquoi elle augmente entre l’enfance et l’adolescence (Casey, Getz, & Galvan, 2008). Dans ce contexte, Casey propose un modèle neuro-développemental dans lequel elle va supposer le développement de deux systèmes cognitifs distincts susceptibles d’entrer en compétition : un Système émotionnel et un Système de contrôle cognitif (Casey, & Caudle, 2013; Casey, Getz, & Galvan, 2008). La clé de cette approche théorique consiste à supposer que ces deux systèmes ne se développent pas au même moment. Ainsi, le Système émotionnel serait fonctionnellement mature plus précocement que les processus de régulation de contrôle cognitif. Le pouvoir explicatif de ce modèle vient donc de l’hypothèse que le décalage de développement entre ces deux systèmes créerait une période sensible pendant l’adolescence. Cette dernière serait ainsi caractérisée par une hypersensibilité de la réactivité émotionnelle accompagnée d’une immaturité du contrôle cognitif. Autrement dit, les adolescents seraient marqués par une sensibilité accrue aux émotions et une difficulté à les réguler. Ceci les conduirait à une plus grande sensibilité aux récompenses immédiates qui les pousserait à prendre plus de risque que les enfants et les adultes.

Illustration du modèle de Casey 

Galvan et al (2006) ont été parmi les premiers à apporter des arguments expérimentaux en faveur du modèle proposé par Casey. L’objectif de leur recherche consistait à explorer la spécificité des bases neurales de la sensibilité aux récompenses chez des adolescents. Par rapport à deux autres groupes constitués soit d’enfants plus jeunes soit d’adultes, les résultats de neuroimagerie indiquent que les adolescents présentent un niveau d’activation supérieur dans le noyau accumbens (région du système émotionnel connue pour son implication dans la sensibilité aux récompenses) alors que dans le même temps, les auteurs remarquent un développement linéaire des activations dans les régions préfrontales qui sous-tendent le contrôle cognitif. Ces données suggèrent, en accord avec le modèle de Casey, que la maturation fonctionnelle du noyau accumbens (Système émotionnel) est plus précoce que celle du cortex préfrontal (Système de contrôle cognitif) conduisant à une hypersensibilité aux récompenses spécifiquement à l’adolescence.

Cette hypersensibilité de la réactivité émotionnelle à l’adolescence a été confirmée par une série d’études de neuroimagerie visant à identifier les réseaux cérébraux impliqués dans la perception des émotions faciales (Somerville, 2013). En analysant les activations cérébrales en réaction à la présentation de visages exprimant des émotions, les auteurs ont identifié des pics d’activation pendant la période de l’adolescence au niveau des structures cérébrales sous-tendant le système émotionnel. Ainsi, la simple récompense sociale que constitue un sourire (visages exprimant de la joie), déclenche une réaction plus importante chez les adolescents que chez les enfants et les adultes.

Si, depuis ces premières recherches, de nouvelles études de neuroimagerie sont venues confirmer l’hypothèse d’une hypersensibilité des réseaux cérébraux impliqués dans le ressenti émotionnel associé à une immaturité de ceux sous-tendant le contrôle cognitif (voir Blakemore, 2012; Crone & Dahl, 2012), les données comportementales centrées plus spécifiquement sur la prise de risque allant dans ce sens restent plus rares. Plus exactement, même si de nombreuses recherches soulignent que le contrôle cognitif continue de se développer tardivement pendant l’adolescence, peu d’études de laboratoire retrouvent une spécificité de la prise de risque à l’adolescence lorsque les participants se retrouvent seuls pour décider.

C. Le rôle clef du contexte social – Pourquoi est-ce si différent avec les copains ?

Pour Steinberg (2014), le fait qu’on ne retrouve pas systématiquement une prise de risque accrue à l’adolescence dans des situations artificielles de laboratoire n’est pas vraiment surprenant dans la mesure où les participants sont placés dans des contextes socio-émotionnels faibles. Autrement dit, les adolescents pourraient décider de façon aussi efficace que les adultes, mais uniquement dans les conditions où l’influence des facteurs socio-émotionnels est minimisée. La prise de risque à l’adolescence serait ainsi influencée par la présence de pairs ou des circonstances d’excitation émotionnelle que les épreuves classiques de laboratoire n’induisent pas. La vision de Steinberg reste par conséquent très proche de celle de Casey et souligne la nécessité d’une prise en compte de l’influence du contexte social sur la sensibilité du système émotionnel. 

L’hypothèse d’un rôle déterminant de la présence de pairs dans la prise de risque a été confirmée à partir d’une tâche de simulation de conduite automobile à laquelle les adolescents pouvaient participer seuls ou en groupe (Gardner & Steinberg, 2005). Le principe général de ce jeu est relativement simple : le participant gagne des points en fonction du temps qu’il met pour atteindre une localisation déterminée par avance. Cependant le non-respect de la signalisation (feu tricolore) peut engendrer des accidents dramatiques conduisant à une perte de temps significative. Le conflit apparaît donc ici entre d’une part la tendance spontanée à vouloir franchir des intersections risquées afin d’optimiser le temps de trajet et d’autre part le risque d’en perdre davantage en ayant un accident. Les résultats démontrent que les adolescents sont aussi prudents que les adultes lorsqu’ils résolvent la tâche seuls. À l’inverse, lorsque leurs amis sont présents, ces mêmes adolescents prennent davantage de risques que les adultes. De plus, l’influence de la présence de pairs sur la prise de risque tend à diminuer avec l’âge. Notons que dans ces études les pairs sont uniquement présents pendant que leur camarade réalise la tâche mais ils n’ont pas (a priori) la possibilité d’intervenir pour orienter son comportement.

Afin de déterminer si la présence de pairs augmente la réactivité émotionnelle des adolescents ou diminue leurs capacités de contrôle cognitif, l’équipe de Steinberg a effectué une première étude de neuroimagerie (Chein et al., 2011). Leur raisonnement était le suivant : si la présence de pairs augmente la réactivité émotionnelle, alors l’activité cérébrale dans les régions impliquées dans le traitement des émotions devrait être modulée par le contexte socio-émotionnel. A l’inverse, si ce contexte social réduit le contrôle cognitif,  l’activation des régions préfrontales qui le sous-tendent devrait être plus faible chez les adolescents lorsqu’ils sont en présence de leurs pairs. Les données de neuroimagerie confirment que la présence de pairs impacte sélectivement les activations cérébrales du système émotionnel suggérant que ce contexte social augmente la sensibilité des adolescents aux récompenses immédiates mais n’a visiblement pas d’effet sur le contrôle cognitif. Ce qui est vrai pour l’influence des pairs ne l’est en revanche pas nécessairement pour celle des adultes. 

Ainsi, lorsque cette fois-ci l’adolescent n’est plus observé par ses camarades mais par sa mère,  non seulement la prise de risque diminue mais cette prudence s’accompagne d’une augmentation des activations dans les réseaux cérébraux impliqués dans le contrôle cognitif. Alors que la présence de pairs stimule la sensibilité aux récompenses et la prise de risque, la présence d’un adulte augmente la prudence et le contrôle de soi.

Pour conclure … 

Les adolescents ne sont pas aussi inconscients des risques, ni irrationnels ou stupides que certains de leurs comportements pourraient le suggérer. Au-delà des apparences et des stéréotypes, ils semblent en effet capables de prendre des décisions aussi réfléchies que celles d’un adulte, du moins lorsqu’ils sont seuls pour décider. En revanche, lorsqu’ils sont en présence de leurs camarades, tout change. Ce contexte socio-émotionnel fort stimule la sensibilité aux récompenses immédiates et encourage la prise de risque. La présence de leur mère en revanche pousse les adolescents à prendre significativement moins de risque, et cette diminution est associée à un boost des capacités de contrôle cognitif… Finalement, les parents et les adultes d’une manière générale pourraient encore avoir un rôle positif à jouer chez les adolescents !

A PROPOS DE L’AUTEUR

  • Mathieu Cassotti

Mathieu Cassotti est professeur de psychologie du développement à l’institut de Psychologie de l’Université de Paris et au LaPsyDÉ, il dirige le master de psychologie du développement (DEV Master) de l’Université de Paris. Ses travaux s’intéressent aux rôles des fonctions exécutives, des émotions, et du contexte social dans la prise de décision et dans la génération d’idées créatives, de l’enfance jusqu’à l’âge adulte !

RECOMMANDATIONS DE L’AUTEUR POUR ALLER PLUS LOIN… ! 

Saviez vous que boire de l’eau sucrée fait déjà la différence entre les adolescents et les adultes en terme de comportement de prise de risque ?

 

Écoutez la synthèse des recherches de Adriana Galván !

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Comment le cerveau des adolescents se modifie à force de prendre des risques, et comment pousse-t-il les adolescents à prendre encore plus de risques ? 

Écoutez la synthèse des recherches de Kashfia Rahman !

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BIBLIOGRAPHIE DE L’ARTICLE

  • Blakemore, S. J., & Robbins, T. W. (2012). Decision-making in the adolescent brain. Natureneuroscience, 15(9), 1184-1191.
  • Casey, B. J., & Caudle, K. (2013). The teenage brain: Self control. Current Directions in Psychological Science, 22, 82U87.
  • Casey, B. J., Getz, S., & Galvan, A. (2008). The adolescent brain. Developmental Review, 28, 62U77.
  • Chein, J., Albert, D., O’Brien, L., Uckert, K., & Steinberg, L. (2011). Peers increase adolescent risk taking by enhancing activity in the brain’s reward circuitry : Peer influence on risk taking. Developmental Science, 14(2), F1‑F10. https://doi.org/10.1111/j.1467-7687.2010.01035.x
  • Crone, E. A., & Dahl, R. E. (2012). Understanding adolescence as a period of social–affective engagement and goal flexibility. Nature Reviews Neuroscience, 13(9), 636‑650. https://doi.org/10.1038/nrn3313
  • Galvan, A., Hare, T. A., Parra, C. E., Penn, J., Voss, H., Glover, G. et al. (2006). Earlier development of the accumbens relative to orbitofrontal cortex might underlie risk-taking behavior in adolescents. Journal of Neuroscience, 26, 6885-6892.
  • Somerville, L. H. (2013). The teenage brain: Sensitivity to social evaluation. Current Directions in Psychological Science, 22 (2), 129-135.
  • Steinberg, L.  (2014). Age of Opportunity: Lessons from the New Science of Adolescence. Houghton Mifflin Harcourt.

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